Cinéma – Charlène Favier : « J’ai obtenu mon passeport pour un deuxième film »
La réalisatrice à Deauville, tenant le prix d'Ornano Valenti décerné par la critique américaine au meilleur film français. Elle est entourée de gauche à droite de : Noé Abita (actrice), Yann Maritaud, directeur de la photographie, Clément Comet, 1er assistant réalisateur, Thibaud Del et Muriel Combeau, actrice. - Photo : DR
Par La Voix de l'Ain
Slalom est projeté sur les écrans depuis le 19 mai. Que ressentez-vous ?
Une joie immense. Il y a eu tellement d’arrêts, de reports de dernière minute. Je suis encore dans la promotion, à défendre le film dans la presse. Mais je commence à lâcher le bébé depuis quelques jours. Ça me fait bizarre de laisser Slalom faire son chemin tout seul. La suite m’échappe un peu.
Le premier jour, Slalom a enregistré 8 500 entrées (pour 237 copies), selon Box office France. Plutôt un bon départ ?
C’est super, même ! ADN a fait le même jour 16 000 entrées avec le double de copies et une réalisatrice, Maïwenn, hyper connue. Mon distributeur a dit que c’était bien, car on est partis avec des handicaps : des jauges réduites à 35 % des capacités des salles, et aucune séance après 21 h, alors que le cinéma fait le plus d’entrées en soirée.
Le succès dépendra du nombre de semaines où le film restera à l’affiche. Êtes-vous confiante alors qu’il y a embouteillage chez les distributeurs ?
Il y a quatre fois plus de films à diffuser qu’à la normale, en cette période. Le premier jour aux Halles à Paris, Slalom a fait la première séance de 9 h avec une salle complète. Ce qui était très prometteur pour la suite, selon les spécialistes de la distribution. Je découvre toute cette partie commerciale autour du film. De nombreux cinéastes m’avaient prévenue, en me disant « Tu vas voir, à la sortie, c’est violent ! » Avec le recul, avec la diffusion en salle, je me disais que, venant de nulle part, et ayant une critique très positive sur le film, j’avais déjà presque tout gagné. Et puis un truc super est arrivé. Dans le classement hebdomadaire d’Allociné, Slalom est en 1re position des critiques de presse et 2e pour les meilleures critiques des spectateurs, derrière Demon Slayer, le manga japonnais qui cartonne. C’est un signe.
De nombreux prix, dont celui de la critique américaine pour le meilleur film français à Deauville, la presse unanimement séduite. C’est une autre consécration ?
Slalom a même été plébiscité par la presse aux USA, alors que le film a fait une petite sortie. De grands titres, comme The Gardian, The New York Times en ont parlé. Jamais je n’aurais imaginé cela, ni que la presse américaine soit unanime.
L’histoire de votre film, l’emprise physique et psychologique d’un entraîneur sur son athlète adolescente, trouve un écho dans de nombreux pays occidentaux. D’où l’intérêt qu’il suscite.
Certes, mais ce n’est pas qu’un film « dossier de l’écran »**. Les critiques soulignent aussi la qualité de l’image, le travail technique, l’esthétique. Ce qui a plu aussi, c’est son côté thriller.
Le César de la meilleure réalisation, vous y pensez en vous maquillant le matin ?
Non, non. Je suis toujours un peu méfiante par rapport à tout ça. Si ça arrivait, c’est le travail de tout une équipe que cela récompenserait, pas d’une seule personne. Franchement, ça ne m’obsède pas. Je suis comme Albert Dupontel, je suis anti-compétition, je n’ai pas fait de grandes études. Et puis, réalisateur, ce n’est pas chirurgien chercheur, il faut relativiser l’importance de cette profession.
Cette notoriété soudaine est-elle grisante ?
Je ne me laisse pas aveugler. Bien sûr, je vais sur des plateaux télé, je participe aux séances photo pour des magazines. Mais j’habite à Marseille, loin du parisianisme, du cinéma et de son microcosme. Vous savez… (sourire) mon mec a ouvert un restaurant à Avignon, et je l’aide en servant les clients en salle !
Passée l’euphorie de Slalom, il faudra se remettre derrière la caméra. Avez-vous un projet ?
Je travaille sur mon prochain film, avec le scénariste Antoine Lacomblez. Il s’intitulera Oxana. Il évoquera l’histoire d’une fondatrice des Femen, qui a mis fin à ses jours à Paris en 2018. Ce sera un film sur le corps, la liberté, la rébellion, le parcours d’une femme tumultueuse. Ça reste dans la même veine que Slalom. Ce sujet me poursuivra encore longtemps, car j’ai encore des choses à dire. Ce sera une fiction plus étirée, qui ne s’inspirera pas de mon histoire. Je vais travailler avec des Ukrainiens. Je prépare, par ailleurs, une série policière pour Gaumont, adaptée d’un polar noir d’Estelle Surbranche. Le personnage principal, un flic, sera interprété par Virginie Efira. Les femmes restent au cœur de mon œuvre.
Est-ce plus facile de réaliser un deuxième film ?
Après les succès des festivals d’Angoulême et de Deauville, de nombreux producteurs sont venus me voir pour travailler avec moi. J’ai reçu plein de propositions. Aujourd’hui, c’est mille fois plus facile pour monter un projet. Pour Slalom, ça avait été un parcours du combattant. Ce qui m’importe surtout, c’est d’avoir réussi à obtenir mon passeport pour le 2e film. Quand tu viens de nulle part, comme moi, si tu rates ta chance, on ne t’en donne pas une deuxième. Quand je me retourne sur le passé, je me dis que c’est fou. En 2010, j’ai créé Charlie Bus, ma société de production à Bourg-en-Bresse, et en juin 2020, j’apprends que je suis dans la sélection officielle à Cannes. J’ai bien fait de m’accrocher, j’ai bien fait de suivre mon intuition.
Propos recueillis par Philippe Cornaton
** Célèbre émission de télévision de cinéma et de débats dans les années 1970-1980.
Galerie
À 36 ans, la cinéaste burgienne réalise une entrée réussie dans le septième art avec Slalom. Comme au ski, elle a su s\’affranchir des obstacles. – Photo : DR